Je repense souvent au voyage, aux gens qu'on a rencontrés, aux lieux où on s'est arrêtées pour prendre le temps de respirer. Il y a des moments que je revivrais volontiers, mais je sais que ça ne serait pas pareil. On ne peut pas vraiment revivre un moment.
Je ne sens plus le besoin viscéral de repartir immédiatement pour l'autre bout du monde. On dirait que les 96 jours de voyage, plus les 95 jours de retour m'ont permis de relativiser les so-called différences culturelles qui me donnaient envie de partir à l'autre bout du monde à tout bout de champ.
Quand je suis revenue, en 2007, je m'étais rendu compte, avec surprise, que j'en avais peut-être appris plus sur moi et d'où je viens que sur là-bas. Aujourd'hui, j'ai l'impression que la dichotomie entre ici et là-bas ne tient plus vraiment la route. Ici, c'est aussi là-bas, et là-bas, c'était aussi ici. C'est dur à expliquer. C'est un tout. Un gros tout. Un seul et unique gros ensemble, où tout est relié beaucoup plus intimement qu'on le pense, et où le véritable lointain est peut-être mon voisin d'en-dessous, que je ne connais toujours pas même si ça fait plus qu'un an que j'habite ici.
J'ai encore envie de partir (vous pensiez que j'étais guérie ? raté !), mais moins loin. J'ai envie d'aller travailler dans les provinces maritimes de l'Est du pays. Je me dis que ça serait une bonne chose d'y aller en vélo. Quand, je sais pas. On verra. Pas rendue là encore...
Quand je me promène à l'université, je vois tellement de choses sur l'humanitaire, les stages à l'étranger, les bonnes oeuvres bien pensantes qui nous invitent à envoyer notre vieux linge en Chine, à donner pour Haïti, à soutenir X ou Y orphelinat en Inde... Ça me fait tellement bizarre, maintenant. Y'a tellement de misère ici aussi et on dirait qu'on ne fait pas attention ou qu'on se dit que c'est moins pire, ou que les gens qui sont dans la misère ici l'ont fait exprès. Pourquoi, à McGill, on n'arrête pas d'organiser des bake sales pour l'autre bout du monde alors qu'il y a tant à faire ici ? Quelque chose m'échappe.
On dirait que c'est correct d'être pauvre à l'autre bout du monde, mais que ça l'est pas de l'être ici. C'est vrai qu'avec tout ce qu'on se raconte sur notre beau système d'éducation, l'égalité des chances, la lutte contre le décrochage et tout le tra-la-la, c'est dur de regarder la pauvreté d'en face en face.
On dirait aussi qu'il faut sauver le monde à tout prix, un sac vert, un bac de recyclage, un muffin et une barre de chocolat à la fois. Sauver le monde, parce que le monde a besoin d'être sauvé. Je me demande si le monde a tant besoin d'être sauvé. au sens où on l'entend le plus souvent. Je me demande s'il faut vraiment tout développer, tout intégrer, tout amener vers la [prétendue] modernité...
J'ai l'impression que le bonheur n'est pas là où on le cherche le plus : là-bas, hier ou demain. J'essaie de revenir au « ici et maintenant ».
Dans beaucoup d'invitations à sauver le monde, il est question d'argent. « Donnez tant, sauvez-en tant ! » Quelque chose m'échappe, encore une fois. J'ai l'impression que c'est vain d'envoyer de l'argent tant qu'on continue à envoyer des bombes, à vendre des fusils et à extraire le minerai. Faudrait d'abord changer d'attitude, arrêter d'envoyer des bombes, arrêter de vendre des fusil et arrêter d'extraire tout ce minerai. Un peu d'ouverture, de l'air frais. Faut que ça commencer ICI et MAINTENANT. Que « fif » et « gouine » ne soient plus des insultes de cours d'écoles, qu'on arrête de parler de nous et d'eux, qu'on arrête de défendre nos intérêts et qu'on commence à essayer de se comprendre pour vrai, qu'on dise enfin « non « quand on pense « non » pour dire enfin « oui » quand on pense « oui », qu'on se demande ce qui est important, pour de vrai, et qu'on en prenne soin, pour de vrai...
Je m'arrête ici, faut que j'aille couper des oignons pour ma soupe aux pois.
Aimée