vendredi 16 juillet 2010

Du saumon et du homard, ou l'allégorie du repas

J'ai écrit le texte il y a 2 ou 3 jours à Meknès.

Apéro : fanta orange
De la fenêtre de la chambre, qui donne sur une espèce de colonne d'aération, monte une odeur incongrue de sandwich aux oeufs. Geneviève, couchée sur le lit d'à côté, essaie de rattrapper un peu de sommeil égaré entre deux quintes de toux d'un Marocain de l'étage en-dessous. Ses pieds, qui dépassent du lit, sont sales, malgré la douche d'hier soir. Ici, on a toujours pieds sales. Avec la chaleur, on préfères les gougounes aux bottes de marche...

Hors d'oeuvre : olives
Du homard et du saumon. Un pavé de saumon, j'y plante ma fourchette et je la porte à ma bouche. Processus simple et facile. Tout de suite, la chair se défait sous ma langue et mes papilles reconnaissent le goût. Bonheur facile. Du homard, c'est plus compliqué. Il faut décortiquer chaque petite patte, extirper la chair de chaque pince. Manger du homard, c'est un long repas. Si t'es pressé, t'es mieux d'aller te chercher un trio Big Mac... Les pinces font un peu peur aussi. Par contre, le goût de la chair, une fois extirpée de sa solide carapace, vous en conviendrez, est particulièrement délicat et agréable.

Entrée : aubergines à l'ail
Le Maroc aussi, il faut prendre son temps pour le rencontrer, pour aller outre sa coquille rebutante. Les faux-guides, j'en ai plein mon casque et c'est pas cool de glisser sur des déchets de poisson dans le souk. C'est long, sortir la chair des pattes, surtout qu'on travaille fort pour ce qui n'est parfois qu'un tout petit morceau de viande. Il y a quelques jours, j'ai eu envie de virer de bord : les Marocains "trop insistants", les Marocaines, absentes, et moi, un peu perdue là-dedans. J'ai cependant trouvé, à Chefchaouen, une trace de ce que peut-être mon passage ici. Les sourires échangés avec la femme de ménage de l'hôtel (je doute quMelle ait compris ce que je lui ai dit en français, mais je pense qu'on s'est très bien comprises quand même), la gentillesses des gens de la médina, passée la zone touristique... le petit resto d'à côté de l'hôtel, où on était devenues des habituées, la vue des femmes lavant le linge dans la rivière (même si elles ont toutes des machines à laver, maintenant - le lavage de linge comme activité sociale féminine, pense l'étudiante en sciences humaines...), le temps passé à jaser avec Mohammed, en regardant, du coin de l'oeil pour ma part, la finale de la coupe du monde...

Plat principal : couscous aux légumes
Quand on rencontre d'autres touristes, on entend souvent : "il faut vraiment aller voir ça, c'est vraiment beau !" Voir, voir, voir, beau, beau, beau... Bobo à mes yeux quand il est question des beautés touristiques si souvent citées ! Objectivement, l'Alhambra, la Mezquita et le mausoloée de Moulay Ismaïl ont très beaux. J'ai cependant l'impression qu'un bon livre sur chacun aurait presque aussi bien fait la job que de les visiter. Presque, parce que visiter permet quand même de mettre les choses à l'échelle et de saisir que les tuiles du mausolée, de loin, ont l'air noires, mais qu'elles sont bleu dense quand on les regarde à 90 degrés. Mais ça, même ça, ça ne me fera pas traverser le miroir...

De Mohammed, mon cadet d'un an, j'ai su qu'il se prépare à devenir guide de montagne. Le dénominateur commun, sur le plan linguistique, s'est avéré être l'espagnol. On a donc jasé en castillan. Mohammed habite dans les montagnes, à une heure de vélo de Chefchaouen. La terre qui s'est transmise de génération en génération appartient maintenant à son père, qui a jusqu'à maintenant refusé toutes les offres d'achat. Avant d'être à son père, la terre était à son grand-père, et avant, à son arrière-arrière-grand-père... Le père de Mohammed ne veut pas vendre, vous comprendrez. Mohammed a 6 frères et soeurs. Son frère le plus vieux, qui a 24 ans, est marié depuis 4 ans ("habia una chica...", me racontait Mohammed). Il a maintenant 2 enfants avec sa femme : une fille d'un an et demi et un garçon d'un mois et demi. Le frère en question est électricien. La grand-mère maternelle, elle, a 30 chèvres dont elle s'occupe toujours dans la montagne, du haut de ses fringants 90 ans ! Abuelita !? Chapeau, madame !

Mohammed ne fume pas, parce que grimper des montagnes et fumer, ça ne va pas ensemble. Il se préparait à aller régler des questions de paperasse pour retourner voyager 3 mois en Espagne. Il part seul, c'est comme ça qu'il aime voyager.

Dessert : biscuits marocains
Le moment passé à jaser avec Mohammed, comme les autres perles dont j'ai fait mention plus tôt, c'est précieux. Quand on marche en ville, les gens s'imaginent parfois qu'on est des machines à cash, comme l'a si justement exprimé Chris, un gars de Vancouver rencontré à Chefchaouen. Les moments où on peut rencontrer d'autres humains, sans que l'échange ne porte la marque du dirham, de l'euro ou du dollar, c'est du bonheur en pattes, un petit bout de homard sous la carapace mercantile ! Ces moments, il ne faudrait quand même pas les définir uniquement par la négative, par l'absence de quelque chose. D'autres moments marocains ont été exempts de ce mercantilisme, mais ce n'était pas pareil. Ce qui compte, ce n'est pas l'absence, mais la présence...

Digestif : thé à la menthe (aussi appelé "whisky marocain")
Il y a des choses, ici, dont on constate qu'elles sont culturelles et qu'elles n'ont pas l'universalité qu'on leur a imaginée. Exemple facile : les toilettes, turques versus occidentales. Exemple plus délicat : ce qu'on expose et ce qu'on voile, pour qui, quand et comment. Être une femme ici et être une femme au Québec, ce n'est pas la même chose. Les codes m'échappent encore en grande partie, mais mon "étrangeté", je le sais, l'excuse le plus souvent. Ici, la sphère publique est un domaine d'hommes, auquel les femmes n'ont que peu accès. Le monde des femmes est plus retiré et discret, ce qui en rend l'approche plus difficile. Comme femmes étrangères, on se retrouve parfois dans ce "no woman's land". Nos rencontrers avec l'humanité n'en sont que plus émouvantes.

8 commentaires:

  1. Salut les grandes voyageuses,
    Nous aimons beaucoup vos récits de voyages.Ça nous
    rappelle notre voyage au Maroc. Je constate que rien n'a changé dans ce coin-là.Les maroquins sont
    comme des mouches à merde sauf exception.Tant qu'au toilette: trou dans le plancher, ça n'a pas
    beaucoup évolué. J'ai vécu la même chose en 1979.

    Au plaisir, Grand-Maman

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  2. Salut les filles! Que c'est intéressant de vous lire! Vous me donnez goût de voyager! Profitez au max de votre expérience! J'ai hâte de vous revoir!
    Mélissa

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  3. Ouf! Grand-maman, ca sent la mauvaise expérience! Je pense quand même que cest le contraire: Je pense que la majorité des Marocains sont des gens très gentils et que cest une minorité dentre eux qui sont collants, insistants, vulgaires... Malheureusement, ce sont aussi ces derniers qui approchent le plus les touristes, doù cette impression... Mais nous avons eu la chance de faire de très belles rencontres. Lun des Mohammed rencontrés nous a dailleurs dit de ne pas nous laisser troubler par ces gens blessants et nous a rappelé que des gens méchants, il y en a partout! Il faut aussi penser que pour certains chasses-touristes, harceler les arrivants est peut-être lunique moyen de nourrir leur famille. Ca nexcuse pas tout, mais cest a prendre en consideration...

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  4. Bonjour Aimée et Geneviève!

    Grâce à votre voyage vous me faites découvrir le Maroc.Du homard au Maroc, qui l'aurait cru?! Vos réflexions sont très intéressantes. Beau tatouage au hennée Geneviève.

    Je vais continuer à suivre vos aventures...

    À bientôt,

    Myriam-la Québecoise de Cordoue

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  5. L'insistance des Marocains me fait penser au voyage de ma belle-fille en Inde. Comme elle a une épaisse chevelure très frisée naturellement, tous les jeunes garçons voulaient se faire photographier avec elle, la prenant pour une actrice. La première journée, elle expliquait que non, elle était canadienne, en voyage et blablabla. Rien à faire. Il y a beaucoup de monde à New Delhi et c'est Bollywood, là-bas. Alors elle s'est gentiment prêtée au jeu sans expliquer et les promenades avec son amie furent ponctuées de clic, sourire, photo, on marche, clic, sourire, photo, on marche.

    Votre séjour au Maroc me rappelle le nôtre en plusieurs points, disons jadis. Quoique pas vu Moulay Idriss et pas mangé de homard. "Dans notre temps", on y mangeait du couscous! On y buvait du thé à la menthe très sucré dans de petits verres, sucré au point d'y attirer les abeilles.

    Dire que vous avez quitté l'Espagne tout juste avant le match gagnant ultime de la Furia Roja! Vous avez manqué le délire national!
    Espagnols et Marocains, si proches en distance, si différents en cultures. Un monde!

    Vous lire est un plaisir. Bonne continuation. A+

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  6. Qui est-ce ?

    Les Marocains boivent toujours du thé à la menthe suffisament sucré pour atirer les abeilles, qu'en arabe, on appelle "nahla". On n'a mangé ni saumon, ni homard, ici... C'était une sorte de comparaison ;) Les sous-titres du texte pourraient cependant former un vrai menu de resto.

    On était en fait très contentes de ne pas être en Espagne pour la finale... Lors des précédentes victoires de l'Espagne, les pétards n'en finissaient plus de péter, avec les concerts de klaxons, de trompettes et les cris à chaque but ! Oulala... Quand t'essaie de dormir parce que tu prends un bus à 6h le lendemain... J'ai plutôt dormi dans le bus, cette fois-là !

    Aimée

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  7. Question: Qui est-ce? Réponse: Andrée

    Miam miam, délicieuse cette allégorie! J'en ai mangé une deuxième portion!

    Alors, vous n'avez rien manqué du délire espagnol pour le mundial et votre départ avant la finale est compréhensible.

    Les rencontres quotidiennes, les simples achats au marché et les conversations avec les gens de la place sont de grandes richesses. On les retient souvent toute une vie. Durant un voyage si bien préparé, on a tous les cinq sens continuellement en alerte et le cerveau n'en finit plus de décoder tous les menus détails dans le paysage naturel et humain. À fond l'adrénaline le jour et bon dodo le soir.

    Bonne journée.

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